Lettre de témoignage de notre Présidente
A ma demande , elle m'a envoyé ses réflexions sur son " travail de Terrain " .
Merci Madame .
Nos paysans ( nes )
" Travailleurs infatigables…telle est l’image en tout cas que me donne ces paysans des Hautes Terres de Madagascar ...
Très matinaux par habitude , plusieurs sont déjà dans les champs à sept heures du matin , hommes ou femmes …Et c’est parti le travail de la terre…travail des rizières ou travail des champs. Dos courbé pendant des heures et le plus extraordinaire c’est que des mères portent leurs progénitures en même temps sur le dos et souvent même, donnent encore le sein quand bébé pleure .
le village est presque vide jusque vers seize . Tout le monde est au bureau, leur bureau c’est la terre…ils sont réguliers et assidus, ces fonctionnaires de la terre…des vrais fonctionnaires et non pas des fonctionnaires fantômes ( 1 ) ; ils tournent et retournent la terre , ils la labourent , ils l’arrosent…ils prennent soin d’elle pendant plusieurs heures par jour que c’est tellement normal qu’ils s’ attachent à elle , à cette terre les nourrit…Mais sont-ils bien nourris ? mangent-ils bien mangent - ils à leur faim , au vue de ces durs labeurs ? toutes ces heures qu’ils lui consacrent … ? toutes ces sueurs , imperturbables , sous le soleil tapant ou sous les rafales de pluies ? Force est de constater que non … hélas .
Travailleurs de la Terre
Ce travail de la terre pourtant continue de génération en génération, de père en fils mais la vie des paysans , elle , semble être figée ( ... ) toujours à l’ère des ancêtres . Grand –papa était pieds nus , illettré et le petit fils actuel aussi sait à peine lire et écrire…Mais comprenez-vous , si envoyer les enfants à l’école ne les intéresse pas trop car cet école se trouve , éloignée d ' une ou de deux heures de marche « à pieds nus » pour un petit enfant de 6 à 12 ans ?...
Et ils sont toujours aussi miséreux et misérables , dans une pauvre cabane en terre cuite et toit en chaume, à dormir à même le sol , à manger dans des assiettes émaillées et trouées , à boire dans un « zinga » à l’aspect douteux , ( 2 ) sans eau ni électricité qui sont , pour eux , des super luxes…(Ils sont autant matinaux que couche tôt parce qu’il faut économiser la bougie qui coûte cher…seule la lumière du soleil est gratuite …heureusement...alors ils dorment au coucher de l'astre du jour )
Quelques mètres carrés pour cette famille nombreuse… et oui , car souvent c’est une famille nombreuse où les enfants sont perçus comme des vraies richesses , et qu’ils ont du mal à comprendre qu’il leur faut beaucoup plus de moyens qu’ils n’ont pour les nourrir convenablement…pour les vêtir, pour les éduquer...pour leur assurer un sort meilleur que le leur.
Pour nos paysans , qui constituent 70% des malgaches , ce n’est pas vraiment une préoccupation primaire , ces enfants qui sont des dons du Dieu , à tel point que le cycle de vie se répète sans pitié en augmentant davantage la pauvreté à Madagascar .. ( Équation ressources/Besoins ) .
Mais est-ce vraiment leur faute ? quand il n’y a pas de cadre institutionnel ou juridique efficace qui régit leurs conditions ? qui protège leurs droits ?
Insécurité
La plupart laboure plusieurs heures par jour mais ne sont pas propriétaires terriens. Ils perçoivent juste le droit de l’usufruit (2/3 de la récolte.. ) , les uns ont quand même des terrains mais suffisants en surface pour subsister…les autres cultivent avec appréhension sur des terrains domaniaux ou communaux qui risquent à tout moment d’être « réquisitionnés » pour divers raisons….. motifs de dépossession qu'ils ne comprennent même pas ou des raisons contre lesquelles ils n'y peuvent rien ... situation qui dépasse souvent leur force et leur compétence…et ils subissent !
Mais il y en a carrément ceux qui squattent les terres des autres qui , eux , ne sont pas parfois sur place pour valoriser eux même leurs propres terres .
Sinon l’insécurité qui sévit en milieu rural , ces simples voleurs de récolte sur pied ou ces dahalo (3) . Effectivement des centaines de communes rurales n’ont même pas un poste avancé de gendarmerie
Ligne d ' action /réflexion
J’ai vécu quatre ans étroitement avec ces paysans pour avoir été maire d’une petite commune rurale à Antananarivo , et je comprends leurs problèmes et leurs attitudes .
Aussi , je pense qu’il faudrait renforcer leur niveau de connaissance afin qu’ils puissent mieux faire face à tous ces problèmes liés à la terre… et aussi aux problèmes dûs à leur condition de vie
Pour cela , il faudrait améliorer le système de développement du monde rural , identifier à la base ces problèmes, chercher les solutions en les incluant comme principaux acteurs .
Je suis convaincue que pour un résultat pérenne et efficace, leur appropriation (du développement ) est une condition primordiale . Il faudrait qu’ils aient «une voix ».
Dans le contexte actuel, notre comité des paysans que notre ami Bekoto a crée dans la région de Vakinankaratra trouve toute son importance dans ce sens qu’il va être un terrain d'écoute pour les paysans , une interface entre les paysans et l’Etat ainsi qu’interlocuteur de base à tous les niveaux .
Le mouvement fera sûrement tâche d ' huile tout en restant " au service " de la population rurale de Madagascar. Le temps , la patience , l'écoute sont nos meilleurs moyens .
1) A un certain moment à Madagascar , il y a eu des fonctionnaires fantômes qui sont inscrits en tant que tels mais qui sont absents de leur bureau .
2) récipient de fer - blanc
3) Dahalo : des grands voleurs de zébus surtout, ils tuent sans hésiter. Ils pillent également les récoltes des paysans …C’est la terreur des paysans.
BRIGITTE RASAMOELINA
PS : Le blog va élargir les réflexions en publiant témoignages et expériences sur la problématique Paysanne de Madagascar et , pourquoi pas , du monde entier ! . Brisons la solitude du Village . Madame Rasamoelina a une fonction de Docteur généraliste . Elle est connue pour ses engagements socio- humanitaires . Et pardon d'érafler votre modestie Chère Présidente .
Bekoto
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